Nous vivons beaucoup de changements, les universités de médecine qui ne formaient que des médecins offrent à présent une formation des métiers paramédicaux : orthoptistes, assistants, infirmiers, ingénieurs biomédicaux...
Il est capital de s’assurer de la bonne formation des métiers qui gravitent autour du médecin mais ce changement a besoin de suivi dans la forme et dans le fond.
Je m’explique, je suis ophtalmologiste, je reçois une patiente à qui j’ai prescrit des lunettes qui me ramène son fils, je l’examine et lui annonce qu’il voit 10/10 et que son examen ophtalmologique est normal. Elle me dit : mon fils m’a accompagné lorsque je suis allée récupérer mes lunettes, lorsque je les ai mises, j’étais ravie, c’est alors que l’opticien m’a proposé de contrôler la vision de mon de mon fils GRATUITEMENT, une femme vêtue d’une blouse blanche l’a gentiment installé sur une machine (le réfractomètre automatique) et s’est écriée ; il a -2 en montrant le ticket sorti de la machine !, on m’a proposé de lui faire des lunettes avec une réduction. Il a d’abord heurté un mur et lorsqu’il a traversé la route, il a failli se faire écraser par un camion.
Cet exemple n’est malheureusement pas isolé, les gens croient que les assistants vêtus de blouses blanches sont des médecins.
La loi qui régule l’exercice des opticiens leur interdit formellement de prescrire des lunettes aux enfants et pourtant c’est arrivé. Y’a-t-il assez de gens pour surveiller tout le monde ? La réponse est non, alors que faire ? La réponse : un garde-fou.
La machine qui délivre le ticket est le réfractomètre automatique, elle donne une classique fausse myopie lorsqu’on fait un spasme d’accommodation très fréquent chez les enfants, les ophtalmologistes connaissent bien cela mais pas monsieur tout le monde.
La faculté de médecine nous apprend les règles fondamentales : ne pas nuire, on ne trouve que ce qu’on cherche et on ne cherche que ce qu’on connait, cette connaissance est acquise pour l’ophtalmologiste après un cursus de médecine générale et de spécialisation. Encadrer les métiers paramédicaux, c’est leur apprendre ces règles : les garde-fous.
Imaginez que votre sœur vienne pour passer les vacances au Maroc, qu’elle rentre dans une boutique d’optique pour acheter des lunettes de soleil et qu’on lui propose de tester le vue de son fils.
Imaginez qu’à côté de cette machine soit accroché un diplôme avec à l’arrière fond : faculté de médecine et des sciences de la santé et que celui qui consulte internet depuis son smart phone vérifie le contenu du diplôme et qu’on trouve : examen ophtalmologique complet, maladies oculaires et leur traitement, les gens risquent d’être induits en erreur, alors qu’il est plus juste de préciser que ce ne sont des notions de base des maladies.
Question : quels garde-fous a-t-on placé afin de s’assurer que ces diplômes ne prêtent à aucune confusion dans la forme et dans le fond.
Il est urgent de sortir une loi qui limite l’acquisition de la lampe à fente (notre outil d’examen clinique), du microscope chirurgical et des instruments de chirurgie aux ophtalmologistes.
D’excellents opticiens ont fermé boutique parce qu’ils n’ont pas pu tenir face à ce genre de concurrence, ils exerçaient leur métier dans les règles de l’art et prenaient le temps d’expliquer comment porter et entretenir les lunettes surtout lorsque c’est pour la première fois qu’on les porte en raison du changement de la taille des images et du changement des anciens repères habituels des gens.
L’une de mes patientes est assistante médicale, elle m’a racontée qu’elle voyait au travail un patient paralysé, pourquoi ? Parce que le jour où on lui a donné sa paire de lunettes progressives, on lui a dit de les mettre tout de suite dans la boutique et de sortir avec pour s’y habituer rapidement, en descendant du bus, il voyait tout décalé, il a trébuché et s’est paralysé, ce patient est venu en consultation pendant deux ans de plus en plus déprimé par sa nouvelle condition puis il est décédé.
Le centrage du verre, ce n’est pas de la rigolade, le choix du verre, la taille de la monture, je vois parfois des verres aussi gros que des pavés qui écrasent le nez des enfants en croissance.
Aujourd’hui, ce travail est rogné malheureusement, pourquoi ? De plus en plus de personnes mettent des blouses blanches et jouent au médecin sans faire d’études médicales comme dans les séries de télévision.
Je termine par un dernier exemple : je reçois une mère avec sa fille qui ne voit pas bien, elle est très inquiète, je trouve une myopie, une vraie, sa mère me demande : « est ce grave docteur ? » Je prends une maquette de l’œil et lui explique que sa fille a un œil un peu plus grand que celui de ses amies, elle voit mieux que ses amies les petits détails des choses de près mais elle ne voit pas très bien de loin sans lunettes, en revanche elle voit 10/10 avec ses lunettes. Cet œil magnifique lui facilitera une fois adulte les métiers de précision, on raconte que les empereurs de Chine portaient des tissus avec des brodures extraordinaires réalisées par des couturières myopes (c’est comme broder avec un microscope avant que celui-ci ne soit inventé), une autre qualité de son œil, lorsque ses copines auront atteint l’âge de la presbytie (mon âge), elles auront besoin de lunettes de près pour lire : à chacun son tour, en revanche elle pourra lire de près même sans lunettes : c’est le privilège du myope, mais à présent, il est important de porter des lunettes car son système visuel n’a pas encore finit sa croissance, raison pour laquelle on devra changer ces lunettes dans six mois (pour suivre cette croissance). Je finis par dire que c’est ce qu’on appelle la différence, dans le monde, il y’a des grands, des petits, des gros, des minces, si nous étions tous pareils, qu’est ce qu’on s’ennuierait ! Et on finit par un rire du fond du cœur.
Quelques jours plus tard, mon assistante me dit qu’il que cette patiente désire me voir, elle est en colère et sa fille totalement tourmentée, elle m’a dit que l’opticien m’a annoncé que la vue de ma fille est très basse.
Discuter d’un cas avec un confrère médecin est un plaisir, recevoir l’appel d’un opticien qui veut avoir plus de précisions au sujet d’une correction pour mieux servir son client est une joie mais verser de tels propos dans les oreilles d’un patient est nocif, on se retrouve à devoir expliquer que tout le monde est important mais qu’à chacun son métier, l’opticien et son assistant n’ont pas fait d’études médicales et l’ophtalmologiste ne donne pas les lunettes qu’il prescrit, la patiente était réconfortée, le visage de son enfant a viré du pâle au rose, je la suis régulièrement en consultation.
Il est capital de placer les garde-fous pour accompagner les changements et nous marocains, sommes connus depuis des siècles pour accueillir les changements sans délaisser nos traditions.